Pouvoir d’achat, le grand mensonge

Philippe Herlin est économiste et docteur en économie au CNAM.

Site de Philippe Herlin : www.philippeherlin.com

Résumé du livre de Philippe Herlin : Pouvoir d’achat, le grand mensonge, éditions Eyrolles 2018

Introduction

Parmi tous les indicateurs économiques, PIB ou balance commerciale, le pouvoir d’achat est celui qui arrive en bout de chaine et résulte de tous les autres ; il est aussi le plus facile à comprendre par les citoyens. L’INSEE annonce que le pouvoir d’achat progresse chaque année, alors que pour beaucoup de gens il régresse … qu’en est-il réellement ? Nous verrons qu’il y a matière à discuter les partis pris de l’INSEE …

Inflation et pouvoir d’achat

Entre 1975 et 2008, l’indice du pouvoir d’achat (NDLR: IPA) aurait augmenté de 1,3% chaque année, soit 13,7% sur 10 ans. En 2015, il accélère pour atteindre un taux de 1,6%, une progression que rien n’arrête, ni le chômage, ni le gonflement de la dette, ni la décroissance du commerce extérieur. Pourtant, dans un sondage de l’INSEE en 2006, 89% des français pensent que leur pouvoir d’achat ne s’améliore pas. Comment expliquer cette fracture ?
En 2012, une enquête de France 2 compare les prix de produits alimentaires en grande surface, et constate une augmentation des prix de 9%.

L’indice des prix à la consommation (IPC)

L’évolution du pouvoir d’achat est calculée par différence entre l’évolution des revenus des ménages et l’évolution de l’IPC. Autant le revenu est une donnée brute, factuelle, autant l’IPC est un indice dont le calcul est complexe et sophistiqué. L’IPC sert à calculer l’inflation, mais aussi le SMIC, les pensions alimentaires et la datte publique via les emprunts OAT (obligations assimilables du trésor).A ce sujet, on notera depuis 2001’introduction des OAT€i à taux variable à hauteur de 10% de la dette globale, ce qui est un risque économique en cas d’hyperinflation.Le calcul de l’IPA semble solide, 200’000 prix relevés sur le terrain, 1000 familles de produits, 30’000 points de vente, prise en compte des soldes, Mais ..

Les limites de la mesure de l’inflation

Du statisticien, on dit que s’il a la tête dans le four et les pieds dans le frigo, il se sent très bien en moyenne. Elizabeth Taylor disait que tout augment, le pain et les diamants. Mais comment est calculé le panier moyen de la ménagère ?

L’effet pondération

SI le poisson devient trop cher, on en achète moins souvent, on le remplace par d’autres articles moins chers, donc sa part dans l’indice va baisser, et donc La hausse du prix du poisson s’en trouve diluée. Depuis 1970, la liste des produits inclus dans le calcul de l’indice est modifiée chaque année pour intégrer l’effet pondération.

L’effet confidentialité

Pour éviter les fraudes sur le calcul de l’indice, la liste des produits est tenue secrète. L’inconvénient, c’est qu’il n’y a aucun moyen de contrôler les calculs de l’INSEE.

L’effet Crédit

L’INSEE ne prend en comptes que les dépenses liées à la consommation, en excluant les intérêts sur les crédits, consommation ou immobilier, les impôts directs. Or, plus tout cela augmente, moins on dépense pour les produits de première nécessité.

L’effet immobilier

L’acquisition d’un bien immobilier, même une résidence principale, est considéré comme de l’investissement, et donc ne rentre pas dans le calcul de l’indice. Les dépenses de gros entretien non plus. Pourtant, comment nier que l’inflation immobilière plombe le coût de la vie ? Mais même la location n’est que très faiblement prise en compte, seulement pour 6% dans le panier de la ménagère. (NDLR: pour un salaire de 1800€, le locatif ne compterait que 108€ environ ?). Pourtant, même l’INSEE en 2007 reconnait que le poids de l’immobilier, incluant chauffage et éclairage,  atteint 25% de nos dépenses. Ce chiffre de 6% est remis en cause par le conseil d’analyse économique en 2008, qui préconise l’établissement d’un indice élargi, comme en Allemagne.

L’effet des dépenses pré-engagées – Pouvoir d’achat arbitrable

Pour montrer son attachement à une certaine forme de réalité, l’INSEE introduit le pouvoir d’achat arbitrable, Il s’agit de déduire les frais pré-engagés et quasiment incontournables dans les dépenses des ménages. Ce type de dépense, qui a quasiment doublé en 50 ans, représente le tiers du budget des ménages, et correspond au logement, aux services financiers et aux télécommunications. Les marges de manœuvre deviennent réduites, et influencent le ressenti quant au pouvoir d’achat.

L’effet qualité

L’un des procédés les plus contestables utilisé par l’INSEE pour minorer la hausse des prix s’appelle l’effet qualité. Si la nouvelle tablette informatique est plus puissante, on en déduit qu’on a en plus pour le même prix, et donc on peut considérer que c’est équivalent à une baisse de prix, Ainsi le prix des PC aurait baissé de 15% entre 2002 et 2003. L’effet qualité est partout, automobile, logement, alimentation, vêtements, et concerne environ 25% de l’ensemble des produits. Ceci a donc pour effet de gommer ou diminuer les hausses de prix, par exemple celle du jus d’orange auquel on aurait ajouté quelques vitamines. (NDLR: par contre, on ne prend pas en compte semble-t-il la baisse de qualité, qui est pourtant significative pour les produits alimentaires).Dans une étude du monde datant de 2018 portant sur la période de 1996 à 2018, sur des prix ramenés à une base 100 et intégrant l’effet qualité, on voit les prix augmenter, le tabac valant 296, l’essence 158, l’assurance 175, Parmi les produits qui baissent, on trouve les PC dont le prix est ramené à 5, soit une division par 20. Un PC valant 1000€ il y a 20 ans vaudrait aujourd’hui 50€, ce qui ne correspond à rien de réel.

L’effet masquage

Une autre difficulté vient compliquer le calcul de l’indice, il s’agit des changements de produits initiés par les fabricants. Un changement mineur dans un produit permet de changer son code barre et de brouiller les pistes, ou le remplacement d’un extrait naturel de vanille, dont le prix a explosé, par un colorant low-cost, ou encore le changement de taille, par exemple le remplacement des bouteilles de 1, L par des bouteilles de 1,25 L et 1,75 L.

En première conclusion

Finalement, l’indice INSEE arrange bien les banques centrales qui tablaient sur une inflation inférieure à 2%. Mais cela a aussi empêché de voir arriver les bulles immobilières, le seuil d’alerte se situant à 5% d’inflation.

Les tentatives de calcul alternatif

Dans les années 70, la CGT entend démontrer que les calculs de l’INSEE sont faits pour masquer l’inflation.  L’indice de la CGT est systématiquement supérieur à celui de l’INSEE. Il est basé sur des familles de 4 enfants, résidant en région parisienne, avec un père ouvrier qualifié.
En 2004, le cabinet d’études économiques BIPE, mandaté par le groupe Leclerc, élabore son propre indice des prix, libéré de l’effet qualité (une machine à laver silencieuse n’en est pas moins virtuellement chère pour cela), et augmenté des effets crédit. et des dépenses contraintes qui subissent une inflation élevée. Là aussi, les résultats diffèrent de ceux de l’INSEE.

La reprise des calculs de Jean Fourastié (NDLR: fortement résumé)

L’auteur reprend et étend les travaux du groupe de recherche de Jean Fourastié, basés sur des prix réels sur une période de plus de 40 ans, les catalogues de La Redoute essentiellement. Le parti pris est de considérer le ratio entre le SMIC et les biens de consommation les moins chers (le lave-linge le moins cher, etc.).

Voici les résultats de l’étude sur l’évolution du pouvoir d’achat :++ forte augmentation de 1965 à 1975== stabilisation de 1975 à 1990+   augmentation de 1990 à 2000 (débuts de la mondialisation)–  forte décroissance de 2000 à 2019.

Fin.